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Anthony Caro – Juin 1994

Bruno Durieux is perhaps the modern day equivalent of a Renaissance man. When I first met him six or seven years ago I found it hard to comprehend the fact that here was a professor of economics, a member of Parliament –soon to become a Minister of France – who was at the same time an entirely serious sculptor. No only serious but talented. (…)
In 1989 and 1990 he came to the Triangle Workshop that I founded in New-York State. It was a two week period of intensive art making by a range of artists from different countries. Here he proved, by his concentrated efforts, his artistic intelligence, but above all by the quality of his art that he was a very good sculptor. (…)

Alin Avila - 2008

Dans son souvenir, Bruno Durieux fait remonter sa curiosité pour le métal à son enfance tandis qu’il aimait traîner chez un garagiste descendant sans doute d’un maréchal-ferrant, portant son regard autant sur les outils, sur les pièces des différents métaux que sur la manière de se servir de tout cela. Un regard malicieux et ingénu. Ce n’est que plus tard qu’il va assembler des pièces métalliques dans le geste symbolique de la fusion, son métier d’homme politique ne laisse à cette occupation que la place d’un délassement. Mais quel étrange délassement quand il occupe plus de 20 ans après, l’immense parc de la région de Grignan. (..)
(...)Considérée de deux matières, sa sculpture, d’un point de vue formel, ne cache pas ses origines. Elles sont les plus nobles et les plus innovantes de l’art contemporain. Anthony Caro, probablement le plus grand sculpteur vivant, ne dit-il pas de Bruno Durieux qu’il est le dernier des hommes de la Renaissance ?
Entendant qu’il peut tout à la fois faire vivre les formes du métal et se passionner pour les problèmes de l’homme et l’avenir de notre société. Mais si ses sculptures trouveraient tout à fait leurs places dans un musée situant ce qu’il faut appeler une recherche sur la voie d’un formalisme de l’imagination, il faut avant tout les considérer dans l’ensemble et le parcours qu’elles constituent dans cette colline. (...)
(...)Elles établissent un concert de signification où le travail de l’artiste, en face de celui de la nature résiste ou fait écho. Parfois on peut les regarder isolément tandis que l’on arpente la colline, celle que l’on vient de voir : le dialogue est permanent. (...)
(...)Le jardin de Bruno Durieux est à l’égal de celui de Tinguely, il répond au besoin de reconstituer un éden où les éléments mythiques sont faits de métaux contemporains.

Bruno Durieux - Extraits du « Chant des courbes » 2008

«(...) Je respecte la trace qu’a laissée le forgeron. Je suis plus dans la continuité que dans l’appropriation. (...)
(...) J’aime assembler des objets riches et pauvres, nobles et ordinaires, en faire quelque chose qui a du sens ; cette difficulté est mon ambition... (...)
(...) Avec trois objets, les plus humbles, les plus insignifiants, les plus modestes qui soient, on peut toujours rechercher des dispositions intéressantes. C’est alors que les idées viennent. (...)
(...) Un siège de tracteur, une lame de charrue, une roue racontent un peu l’histoire des gens. (...)
(...) Dans une même pièce, je juxtapose la figure la plus radicale et un désordre poétique, je fais émerger l’intuitif du logique. (...)
(...) Vous y trouverez toujours du vide et du plein, du léger et du massif, de la lumière et de l’ombre, de la ligne et de l’aplat, du couvrant et du transparent. J’essaie d’aller plus loin dans ces directions. (...)
(...) Ce qui est beau dans une résille sont les vides, lumineux, à l’instar de ceux laissés entre les lettres sur une page blanche. (...)
(...) Je pense qu’il faut aller vers le dépouillement. Vous pouvez exprimer une vision avec les objets les plus rudimentaires. Ceux qui ont servi, qui ne sont plus rien, mais dans un tout qui redeviennent quelque chose, contribuent à une certaine poésie, composent une histoire. (...)
(...) Le fer est souple, malléable, on peut l’aplatir, l’élargir, le souder. Il est parfaitement adapté à la démarche abstraite. (...)
(...) La soudure est une liaison organique qui permet de procréer un objet singulier comme un mot nouveau. (...)
(...) La musique est un ensemble de sons sculptés sur le silence. J’aime quand, d’un coup de marteau, je fais sonner mes sculptures... (...)
(...) A l’Ecole Polytechnique, j’étais particulièrement intéressé par les cours de mathématiques et d’économie mais aussi par la peinture à l’atelier de Fontanarosa qui venait de l’Académie Julian. Il était un professeur merveilleux. Quand je suis sorti de l’Ecole, il m’a conseillé de faire les Beaux Arts. J’ai répondu à Lucien Fontanarosa que je me consacrerai aux questions économiques. Il m’a dit : « si j’ai raison, tu verras, le besoin de créer ne te lâchera pas ». Cette phrase m’est revenue bien des années plus tard. J’ai besoin de la production artistique. Ca se manifeste périodiquement comme une plante que l’on coupe et qui se reforme invariablement. Si je suis éloigné de mon atelier, je me sens devenir impatient, irritable... (...)
(...) Le matin je vais dans mon atelier. Je prends une plaque, travaille les bordures, crée des désordres, des profusions. (...)
(...) David Smith occupe une place de choix dans mon panthéon de la sculpture. Un ami journaliste économiste m’a rapporté un jour, des USA, un catalogue de Smith. Je l’ai découvert alors que j’avais déjà fait, seul, un petit bout de chemin. J’ai tout de suite compris la portée de ce qu’il faisait, il m’a fait faire des pas gigantesques.

J’admire aussi Albert Ferraud qui m’a accueilli dans son atelier. Son œuvre n’a pas l’écho qu’elle mérite. Elle est pourtant très importante.

Je dois beaucoup à Anthony Caro et à son œuvre. Il a tout traité. Il se renouvelle tout le temps. Qu’est-ce qui reste à faire après lui ? Je me suis posé la question... La réponse est... qu’il a mis la barre très haut !

Propos recueillis par Nathalie Mei dans « le chant des courbes » éditions Aréa

Bruno Durieux – Extraits du livre « sculptures » 1994

«Un regard rétrospectif sur ces sculptures, rassemblées pour confectionner cet ouvrage, m’a donné les sentiments qu’elles contenaient une sorte d’ambition classique. Je les ai voulues sobres et équilibrées, simples et synthétiques, dans le goût de ce que l’art classique français a produit au cours des siècles.

J’affirme ceci conscient du côté paradoxal qu’il y a à rattacher au classicisme, des sculptures abstraites, constituées de rebuts métalliques. Pourtant, c’est légitime.

L’esprit classique est compatible avec l’abstraction ainsi qu’avec n’importe quel matériau d’exécution. A la fin du siècle dernier, Maurice Denis affirmait « qu’un tableau –avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote- est une surface plane couverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Gauguin recommandait de ne pas copier la nature car, disait-il « la peinture est une abstraction ». Ils étaient, l’un et l’autre, des artistes « classiques » qui, bien avant l’apparition de l’abstraction, pensaient les arts plastiques en terme d’abstraction. César se prétend, à juste titre, artiste classique ; Anthony Caro, dans son œuvre extrêmement riche, produit aussi des pièces d’une abstraction clairement classique. (...)

(...)Le recours au fer dans la sculpture ne s’allie pas spontanément à l’esprit classique. Il conduit plutôt à des œuvres d’effet expressionniste ou baroque. Cela tient aux propriétés de ce métal que l’on peut tordre ou plier à volonté, qui est le plus malléable et le plus résistant de tous les matériaux de sculpture, qui est souple, rapide, impulsif, nerveux, exigeant, vif, puissant avec lequel on peut ainsi produire les effets les plus violents, étonnants, brillants, en un mot les plus expressionnistes. Mais l’esprit de ce que je fais s’efforce de résister à la forte nature du métal et tend à subordonner l’émotion au style. Je cherche à me rattacher à ce classicisme dont Baudelaire traduit exactement la nature et le sens dans un projet de préface pour les Fleurs du Mal : « le rythme et la rime, écrit-il, répondent dans l’homme aux immortels besoins de monotonie, de symétrie et de surprise » à l’encontre « de la vanité et du danger de l’inspiration ».